« Réguler les marchés dérivés des matières premières », telle est l'une des grandes priorités de la Présidence française du G20. La nouvelle flambée des prix des denrées alimentaires fait craindre une généralisation des tensions dans les pays pauvres et appelle à l'urgence.
L’urgence de la crise alimentaire.
Depuis six mois, les prix des denrées alimentaires n'ont cessé d'augmenter. L'indice mesurant les évolutions des prix d'un panier de céréales, d’oléagineux, de produits laitiers, de viande et de sucre est au plus haut, selon le FAO, l'Organisation de l'ONU pour l'Alimentation et l'Agriculture.
Plusieurs facteurs contribuent à la volatilité des prix.
Cette évolution spectaculaire a commencé dès 2005/2006, lorsque la consommation de certains produits agricoles de base a dépassé la production mondiale. Avec l’émergence économique de la Chine et de l’Inde, la demande en viande et en laitage s’est accrue. Pour rappel, la production d’un kilo de poulet nécessite la consommation de 4 kg de céréales. L’augmentation de la production de biocarburants, à partir de végétaux, encouragée par la hausse du prix du pétrole, a, elle-aussi, fait baisser le niveau des stocks de denrées alimentaires disponibles dans le monde, en amenuisant la surface des terres destinées à la culture alimentaire. Or selon certains experts, si ces stocks étaient à nouveau destinés à la consommation, ils permettraient, à eux seuls, de nourrir la population et faire baisser les cours.
Le rôle des aléas climatiques
A ces causes structurelles s’ajoutent des catastrophes climatiques, qui affectent la stabilité des prix et la sécurité de l’approvisionnement. Cette année, des inondations en Australie et des incendies en Russie, qui ont fortement dégradé les récoltes de céréales. Ainsi, le blé, coté à 120 euros en février 2010 est passé à 270 euros, en un an, dépassant le plafond atteint en 2008, année de l'envolée des prix alimentaires.
L’impossible rééquilibrage des marchés.
Dans une économie bien régulée, il serait possible d’augmenter la production de denrées alimentaires à moyen terme et donc d’envisager une baisse des prix. Le problème réside dans la raréfaction de l’eau combinée au réchauffement climatique, qui fausse cette option et risque d’empêcher le rééquilibrage des marchés, à terme.
A ce problème économique, vient donc se greffer un problème climatique, ainsi, les terres arables autour du Nil risquent d’être fortement inondées dans deux décennies et la vallée de Sacramento en Californie, premier grenier à blé des Etats-Unis, pourrait être submergée par des eaux salées spoliant à jamais une des vallées les plus productives du monde.
Un effet de hausse démultiplié par la spéculation.
Devant tous ces facteurs, il y a fort à craindre que l’augmentation des prix ne soit pas résorbable. Cette quasi certitude a entraîné une spéculation sur le marché encore plus importante par les banques et les investisseurs privés, démultipliant l’effet de la hausse des prix, ce qui entraine une volatilité inacceptable des marchés de denrées alimentaires. Depuis le 5 janvier, l’Algérie est secouée par des manifestations, parfois violentes, contre les hausses, celles-ci allant jusqu'à 30% de certains produits de première nécessité. Inquiets d'un « effet domino » des révoltes au Moyen Orient, certains gouvernements ont déjà mis en place des mesures préventives pour assurer leur sécurité alimentaire : entre autres en puisant dans les réserves existantes ou bien en incitant les banques à accorder des crédits aux paysans. Ce cas de figure se retrouve en Inde, en Malaisie ou en Indonésie.
Les ONG déplorent la spéculation et appellent à une "meilleure régulation" des marchés agricoles, en mettant l'accent sur la "transparence" concernant les stocks.
Les mesures proposées jugées insuffisantes.
Dans le Financial Times du 6 janvier 2011, le Directeur de la Banque mondiale, Robert Zoellick appelle à soutenir les petits agriculteurs et plaide pour des "réserves de produits alimentaires humanitaires" afin de venir en aide aux populations des pays les plus pauvres. Il annonce la création d’un fond d’intervention rapide de 49 milliards de dollars, et envisage des lignes de crédits ou des prêts donnant lieu à une suspension ou une prolongation des remboursements en période de chocs sur les prix.
Selon certains experts, ces mesures, certes concrètes, ont une portée limitée, car elles ne s’attaquent pas aux problèmes de fond : « Quand bien même elles parviendraient à endiguer la hausse, ces mesures n’empêcheront pas la volatilité des prix agricoles » », expliquent Jean-Christophe Kroll, professeur de l'enseignement supérieur agronomique, et Aurélie Trouvé, maître de conférences et coprésidente d'Attac France». La spéculation est, selon eux, un effet pervers du démantèlement des politiques agricoles par l’OMC depuis 1994. Les marchés agricoles ne sont pas concurrentiels et efficients comme le supposent les modèles qui prônent leur dérégulation. Dans toutes les sociétés prospères, même au temps des pharaons en Egypte, les pouvoirs publics ont régulé les marchés pour stabiliser les prix intérieurs. Les Etats-Unis ont ainsi posé dès 1938, les fondements d’une politique agricole et alimentaire. En 1960, c’est au tour de l’Union Européenne qui a mis en place la PAC (Politique Agricole Commune), permettant de stabiliser les prix et assurer la sécurité d’approvisionnement d’un nombre croissant de consommateurs, à des prix raisonnables.
Seuls les pays les plus riches ont pu, jusqu'à présent, préserver leur potentiel de production grâce à des subventions directes aux agriculteurs. Les pays pauvres ont vu la dégradation de leur potentiel de production, ce qui a augmenté leur dépendance alimentaire et les a rendus plus vulnérables à l’augmentation des prix.
Et ces professionnels de nous mettre en garde sur les risques réels dès 2013, pour la sécurité alimentaire de notre continent. En effet, en accord avec les propositions de l’OMC qu’elle soutient, l’Union Européenne s’apprête en 2013, à casser la PAC et à abandonner les instruments de sa politique agricole, notamment sa politique régionale de stockage, qui forcera les prix à s’aligner sur les cours mondiaux de plus en plus volatils. Ils nous rappellent aussi que la France, en 1936, avait pressenti le désastre, puisqu’elle avait interdit les marchés à terme agricoles, les considérant comme contradictoires avec la stabilisation des prix (Cf. article du Monde du 28 Février 2011).
Le grand paradoxe entre la nécessaire stabilisation des prix et l’appel du G20 à conclure le cycle de négociations de l’OMC
Il est déroutant de voir les pays du G20 appeler à conclure le cycle de négociations de L’OMC alors que l’accord en préparation prive définitivement les grandes zones commerciales de toute possibilité de protection et donc de moyen de dissuader efficacement les spéculateurs, face aux aléas des cours mondiaux. Au contraire ne faudrait-il pas plutôt étudier dans les moyens de concilier libéralisme et autonomie alimentaire ?
Quoi qu’il en soit, la complexité des négociations entre les pays du G20 à Paris le 18 et 19 février dernier, qui ont finalement pu s’accorder sur la seule liste des indicateurs à prendre en compte par le FMI pour contribuer à rééquilibrer l’économie globale, rend compte des difficultés à venir pour faire aboutir un dossier aussi complexe que la régulation des marchés ou la mise en place d’une gouvernance mondiale.
Cela ne veut pas dire que l’on ne doit pas essayer. Saluons avec Robert Zoellick, le « leadership » du gouvernement français qui, dans le cadre de sa présidence, fait de la spéculation, la bête noire du G20.
par
Brigitte Ades
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